Certains auteurs semblent confondre ces deux termes (sinon
en théorie, du moins en pratique) et ils insistent sur le fait
qu'il faut considérer les enfants comme des « êtres émotifs »
dotés d'un « réservoir émotionnel » à remplir absolument. Les enfants
ont, à n'en pas douter, sûrement soif d'amour, considérant le
monde dans lequel nous vivons.
Mais en ne favorisant pas sa transformation en canal, en ne faisant
que remplir ou chercher à « remplir son réservoir émotionnel », notre
approche éducative de l'enfant ne tend qu'à promouvoir en lui
l'égoïsme naturellement présent en chacun de nous (à moins qu'il ne
soit couvert par la foi des parents ou qu'il ait lui-même déjà appris
à dépendre de Dieu).
Prenons le cas d'un jeune bébé que l'on doit coucher lorsque vient
le soir. Nous avons tous, en tant que parents, vécu cette expérience.
L'enfant se met à pleurer aussitôt que vous le déposez dans
son petit lit ou que vous quittez la chambre. Vous revenez, vous le
consolez, puis sortez. Les cris reprennent. Si vous préconisez de
remplir son réservoir d'émotions (qui semblait pourtant bien rempli),
il vous forcera à rester à ses côtés jusqu'à qu'il tombe d'épuisement.
Le pire, c'est que l'épisode se répétera ainsi soir après soir.
Joue-t-il avec vous? Pas nécessairement. Il est très sincère. Mais son
réservoir émotionnel est contrôlé par une nature pécheresse.
Le véritable amour ne cédera pas à l'indulgence que demande
l'émotion. Ces petits possèdent des cris tellement poignants, tout
à fait calculés pour toucher le coeur des parents, en particulier
d'une mère. L'amour se préoccupera d'abord du bien de l'enfant,
de la formation de son caractère, et devra ici refuser de répondre à
l'appel des émotions pour s'en tenir à une discipline aimante mais
ferme, destinée à lui apprendre le renoncement à soi. C'est une
facette de l'amour-agapè, l'amour qui ose renoncer à lui-même.
L'amour ainsi communiqué est véritablement à l'image du divin qui
a renoncé à ses prérogatives divines pour venir au secours de
l'humanité, qui a pris la position et la nature d'un petit enfant pour
nous enseigner l'éducation à nous, apprentis-parents.
Il ne faut donc pas confondre amour et émotivité. Nous allons ici
à l'encontre de la majorité, c'est certain. Mais la raison doit
l'emporter. L'amour et l'émotivité sont aussi distincts que deux rails de
chemin de fer, qui avancent toujours, côte à côte, parallèlement,
mais en fait face à face et toujours opposés.
Je me souviens à ce propos de deux personnes différentes que nous
avions rencontrées à la maison. L'une d'elles, après avoir passé
une semaine extraordinaire en compagnie de gens excessivement
prévenants, s'étonna de ce que nous ne réagissions pas immédiatement
devant l'émotion qui l'étreignait. Elle se mit alors à nous
invectiver. Comme les émotions sont changeantes! À une autre
occasion, une dame qui nous visitait démontra pour sa part un
besoin aigu de recevoir une réponse divine manifeste pour confirmer
une vérité scripturaire pourtant évidente, même pour son mari.
Le sentiment dominait. Elle avait pourtant pleuré tout au long de
notre entretien, tellement elle jugeait cette vérité merveilleuse.
On ne peut mêler amour inconditionnel et émotivité. Le sentimentalisme,
l'émotivité, correspond à l'éros, un amour typiquement
humain (cf. Le mot..., p. 5 « une puissante vague émotive »). Mais
l'amour-agapè, l'amour inconditionnel, n'est pas à la base un
sentiment ni une émotion, mais un principe (cf. Vers Jésus, p. 60)
et doit être abordé comme tel.
« Jésus a vu qu'ils [les disciples] avaient besoin d'être dirigés par de
nouvelles idées et de nouveaux mobiles; qu'ils devaient se conformer
à de nouveaux principes : que Sa vie et Sa mort, à la lumière de Son
sacrifice, allait leur donner une nouvelle conception de l'amour. Le
commandement de s'aimer les uns les autres prenait aussi une
nouvelle signification. L'oeuvre de la grâce tout entière est un
service continuel d'amour, de renoncement, de sacrifice de
soi-même. À chaque heure de Son séjour sur la terre, des courants
irrésistibles d'amour divin coulaient de Christ. Tous ceux que
pénètre Son Esprit aimeront comme Il a aimé. Le même principe
qui a inspiré le Christ inspirera aussi leurs relations les uns avec les
autres. » (Jésus-Christ, p. 682-3).
Un jour, Jésus décida de quitter Capernaüm où Il résidait depuis
quelque temps pour se rendre en Galilée. Les apôtres s'étonnèrent
d'une telle décision car les gens venaient vers Lui en foule pour être
guéris. Comment pouvait-Il agir ainsi face à ces pauvres gens?
Jésus avait une guérison plus importante en vue, celle des âmes et
le principe devait primer sur les sentiments et le succès.
Il nous faut comprendre que le sentimentalisme est une contrefaçon
de l'amour :
« L'amour et la compassion que Jésus voudrait nous voir donner aux
autres ne doivent pas avoir la saveur du sentimentalisme qui est un
piège pour l'âme. C'est un amour d'origine divine [agapé] que Jésus
nous enseigne à la fois par le précepte et l'exemple... Paul voudrait
que nous distinguions entre la pure agapè qui trouve sa source dans
l'esprit du Christ et la prétention trompeuse qui surabonde dans le
monde.
« Cette vile contrefaçon a perdu beaucoup d'âmes. Elle voudrait
effacer la distinction entre le bien et le mal en donnant son
approbation au transgresseur au lieu de lui montrer fidèlement ses
erreurs. Une telle démarche ne vient pas d'une réelle amitié.
L'esprit qui la pousse vient seulement du coeur charnel. Tandis que
le chrétien est toujours gentil, compatit et pardonne, il ne peut
sentir aucune affinité avec le péché. Il abhorrera le mal et s'en
tiendra fermement à ce qui est bien au détriment de ses relations avec les
gens non sanctifiés. L'esprit du Christ nous poussera à haïr le
péché, tandis que nous serons prêts à faire n'importe quel sacrifice
pour sauver le pécheur. » (Mentalité, caractère et développement
de la personnalité, vol. 1, p. 174).
Comment le sentimentalisme peut-il constituer un piège pour l'âme?
Il passe outre le bon sens et renverse toute opposition qui ose
paraître sur son passage. Il est aveugle et ne veut pas entendre
raison; ses pieds courent sur la voie large, l'autoroute qui mène dans
la direction du mal, sous prétexte qu'il aime. Il n'ose ni corriger ni
reprendre, encore moins dire la vérité. Et c'est là le tort.
Le dictionnaire Quillet nous donne une définition admirablement
juste de ces choses :
« Sentimentalisme : tendance à privilégier le sentiment, la
sentimentalité. »
« Sentimentalité : excès ou abus du sentiment au détriment
de la raison et même de la sensibilité vraie [l'agapè!]. »
Enfin, si notre amour doit être parfait et qu'il est amour émotif,
comment se manifestera-t-il? La perfection signifierait une vie
d'émotions toujours plus intenses, jusqu'à en perdre la raison,
comme le dit la chanson. L'amour deviendrait alors l'opposé de la
vraie foi qui ne se base pas sur des sentiments mais sur la parole de
Dieu. Le test consiste à croire sans voir, sans éprouver, sans
compter sur un miracle. La vraie foi monte sur la croix ou sur le
bûcher dans l'assurance de l'amour de Dieu et sur le seul témoignage
des Écritures. La foi et l'amour émotif ne peuvent ainsi
former cette fameuse combinaison que l'Apocalypse appelle « l'or
éprouvé par le feu » (
Ap 3.18;
1 Pierre 1.6-7 ) dans laquelle la foi et
l'amour s'unissent. La foi dépend de l'amour; elle est une réponse
à l'amour divin agapè et cherchera à se conformer en tous points
à la volonté de Celui qu'elle aime. L'amour émotif conduit au
contraire à de graves erreurs de jugement et ruine des vies entières;
c'est l'éros qui attire les jeunes gens dans des rapports illicites, et
non l'amour.
Abordons brièvement un autre aspect connexe, l'opposé même de
l'émotivité, et tout aussi dangereux pour l'enfant. Il s'agit de l'excès
de sévérité; il se manifeste souvent sous le prétexte de l'amour, tel
une mauvaise compréhension du texte : « Moi, je reprends et je
châtie tous ceux que j'aime » (
Ap 3.19 ). Il ne crée cependant pas
l'amour mais le ressentiment chez l'enfant. Châtier devrait être une
mesure exceptionnelle et rare, après avoir sincèrement imploré
l'aide divine à genoux pour notre enfant et avec lui. Il pourra ainsi
comprendre la raison de la correction et la gravité de sa faute.
« Il peut être nécessaire de frapper lorsque tous les autres
recours ont échoué; cependant elle [la mère] ne devrait pas
utiliser la verge s'il est possible de l'éviter. Mais si des
mesures plus douces prouvent être insuffisantes, la punition
qui ramènera l'enfant à ses sens devrait être administrée
dans l'amour. Fréquemment, une seule correction de ce
genre suffira pour toute leur vie, afin de démontrer à
l'enfant que ce n'est pas à lui de diriger les choses. » (Child
Guidance, p. 250).
Dans son périple au travers du désert, Israël manqua d'eau et le
peuple se souleva contre Moïse et Aaron. « Vous parlerez en leur
présence au rocher, et il donnera ses eaux, » lui dit alors l'Éternel (
Nombres 20.8
). Mais, dans sa colère, Moïse frappa le rocher à
deux reprises et brisa le merveilleux symbolisme du Christ, frappé
une seule fois pour les péchés du monde. Par ce seul péché, il
perdit le privilège de voir la terre promise. Lorsque nous frappons
un enfant deux fois, cela constitue aussi un signe de colère et de
péché, et nous devrions en peser la gravité devant l'exemple du
patriarche qui posa le même geste d'impatience; nous posons
souvent un geste plus grave que l'offense qui l'a causé; si, cependant,
nous le frappons une fois, nous lui démontrons en fait que s'il
poursuit cette voie, il devra finalement porter la peine de son péché.
Mais en parlant au lieu de frapper, nous faisons mieux, car nous lui
enseignons cette vérité que Jésus, le Rocher d'Israël, a été frappé
et est mort par amour pour lui, et qu'Il est disposé à lui pardonner;
il n'a plus à craindre d'être frappé ni de périr sous la colère divine,
car Jésus l'a subie à sa place, Il a été son Substitut. Il a payé le
prix, Il a porté la peine de son péché : l'enfant sera conduit à la
repentance. En comprenant maintenant l'aspect symbolique de nos
actes, il devient plus difficile de donner libre cours à notre émotivité,
dans un sens ou dans l'autre.
« Vous découvrirez à maintes reprises que, si vous raisonnez
avec eux gentiment, il ne sera pas nécessaire de les frapper.
Une telle méthode les conduira à avoir confiance en vous.
Ils feront de vous leur confident(e) [et leur ami(e)]. » (Child
Guidance, p. 250).