Le véritable amour dans l'éducation

5. Amour et émotivité

Certains auteurs semblent confondre ces deux termes (sinon en théorie, du moins en pratique) et ils insistent sur le fait qu'il faut considérer les enfants comme des « êtres émotifs » dotés d'un « réservoir émotionnel » à remplir absolument. Les enfants ont, à n'en pas douter, sûrement soif d'amour, considérant le monde dans lequel nous vivons.

Mais en ne favorisant pas sa transformation en canal, en ne faisant que remplir ou chercher à « remplir son réservoir émotionnel », notre approche éducative de l'enfant ne tend qu'à promouvoir en lui l'égoïsme naturellement présent en chacun de nous (à moins qu'il ne soit couvert par la foi des parents ou qu'il ait lui-même déjà appris à dépendre de Dieu).

Prenons le cas d'un jeune bébé que l'on doit coucher lorsque vient le soir. Nous avons tous, en tant que parents, vécu cette expérience. L'enfant se met à pleurer aussitôt que vous le déposez dans son petit lit ou que vous quittez la chambre. Vous revenez, vous le consolez, puis sortez. Les cris reprennent. Si vous préconisez de remplir son réservoir d'émotions (qui semblait pourtant bien rempli), il vous forcera à rester à ses côtés jusqu'à qu'il tombe d'épuisement. Le pire, c'est que l'épisode se répétera ainsi soir après soir. Joue-t-il avec vous? Pas nécessairement. Il est très sincère. Mais son réservoir émotionnel est contrôlé par une nature pécheresse.

Le véritable amour ne cédera pas à l'indulgence que demande l'émotion. Ces petits possèdent des cris tellement poignants, tout à fait calculés pour toucher le coeur des parents, en particulier d'une mère. L'amour se préoccupera d'abord du bien de l'enfant, de la formation de son caractère, et devra ici refuser de répondre à l'appel des émotions pour s'en tenir à une discipline aimante mais ferme, destinée à lui apprendre le renoncement à soi. C'est une facette de l'amour-agapè, l'amour qui ose renoncer à lui-même. L'amour ainsi communiqué est véritablement à l'image du divin qui a renoncé à ses prérogatives divines pour venir au secours de l'humanité, qui a pris la position et la nature d'un petit enfant pour nous enseigner l'éducation à nous, apprentis-parents.

Il ne faut donc pas confondre amour et émotivité. Nous allons ici à l'encontre de la majorité, c'est certain. Mais la raison doit l'emporter. L'amour et l'émotivité sont aussi distincts que deux rails de chemin de fer, qui avancent toujours, côte à côte, parallèlement, mais en fait face à face et toujours opposés.

Je me souviens à ce propos de deux personnes différentes que nous avions rencontrées à la maison. L'une d'elles, après avoir passé une semaine extraordinaire en compagnie de gens excessivement prévenants, s'étonna de ce que nous ne réagissions pas immédiatement devant l'émotion qui l'étreignait. Elle se mit alors à nous invectiver. Comme les émotions sont changeantes! À une autre occasion, une dame qui nous visitait démontra pour sa part un besoin aigu de recevoir une réponse divine manifeste pour confirmer une vérité scripturaire pourtant évidente, même pour son mari. Le sentiment dominait. Elle avait pourtant pleuré tout au long de notre entretien, tellement elle jugeait cette vérité merveilleuse.

On ne peut mêler amour inconditionnel et émotivité. Le sentimentalisme, l'émotivité, correspond à l'éros, un amour typiquement humain (cf. Le mot..., p. 5 « une puissante vague émotive »). Mais l'amour-agapè, l'amour inconditionnel, n'est pas à la base un sentiment ni une émotion, mais un principe (cf. Vers Jésus, p. 60) et doit être abordé comme tel.

« Jésus a vu qu'ils [les disciples] avaient besoin d'être dirigés par de nouvelles idées et de nouveaux mobiles; qu'ils devaient se conformer à de nouveaux principes : que Sa vie et Sa mort, à la lumière de Son sacrifice, allait leur donner une nouvelle conception de l'amour. Le commandement de s'aimer les uns les autres prenait aussi une nouvelle signification. L'oeuvre de la grâce tout entière est un service continuel d'amour, de renoncement, de sacrifice de soi-même. À chaque heure de Son séjour sur la terre, des courants irrésistibles d'amour divin coulaient de Christ. Tous ceux que pénètre Son Esprit aimeront comme Il a aimé. Le même principe qui a inspiré le Christ inspirera aussi leurs relations les uns avec les autres. » (Jésus-Christ, p. 682-3).

Un jour, Jésus décida de quitter Capernaüm où Il résidait depuis quelque temps pour se rendre en Galilée. Les apôtres s'étonnèrent d'une telle décision car les gens venaient vers Lui en foule pour être guéris. Comment pouvait-Il agir ainsi face à ces pauvres gens? Jésus avait une guérison plus importante en vue, celle des âmes et le principe devait primer sur les sentiments et le succès.

Il nous faut comprendre que le sentimentalisme est une contrefaçon de l'amour :

« L'amour et la compassion que Jésus voudrait nous voir donner aux autres ne doivent pas avoir la saveur du sentimentalisme qui est un piège pour l'âme. C'est un amour d'origine divine [agapé] que Jésus nous enseigne à la fois par le précepte et l'exemple... Paul voudrait que nous distinguions entre la pure agapè qui trouve sa source dans l'esprit du Christ et la prétention trompeuse qui surabonde dans le monde.

« Cette vile contrefaçon a perdu beaucoup d'âmes. Elle voudrait effacer la distinction entre le bien et le mal en donnant son approbation au transgresseur au lieu de lui montrer fidèlement ses erreurs. Une telle démarche ne vient pas d'une réelle amitié. L'esprit qui la pousse vient seulement du coeur charnel. Tandis que le chrétien est toujours gentil, compatit et pardonne, il ne peut sentir aucune affinité avec le péché. Il abhorrera le mal et s'en tiendra fermement à ce qui est bien au détriment de ses relations avec les gens non sanctifiés. L'esprit du Christ nous poussera à haïr le péché, tandis que nous serons prêts à faire n'importe quel sacrifice pour sauver le pécheur. » (Mentalité, caractère et développement de la personnalité, vol. 1, p. 174).

Comment le sentimentalisme peut-il constituer un piège pour l'âme? Il passe outre le bon sens et renverse toute opposition qui ose paraître sur son passage. Il est aveugle et ne veut pas entendre raison; ses pieds courent sur la voie large, l'autoroute qui mène dans la direction du mal, sous prétexte qu'il aime. Il n'ose ni corriger ni reprendre, encore moins dire la vérité. Et c'est là le tort.

Le dictionnaire Quillet nous donne une définition admirablement juste de ces choses :
« Sentimentalisme : tendance à privilégier le sentiment, la sentimentalité. »

« Sentimentalité : excès ou abus du sentiment au détriment de la raison et même de la sensibilité vraie [l'agapè!]. »
Enfin, si notre amour doit être parfait et qu'il est amour émotif, comment se manifestera-t-il? La perfection signifierait une vie d'émotions toujours plus intenses, jusqu'à en perdre la raison, comme le dit la chanson. L'amour deviendrait alors l'opposé de la vraie foi qui ne se base pas sur des sentiments mais sur la parole de Dieu. Le test consiste à croire sans voir, sans éprouver, sans compter sur un miracle. La vraie foi monte sur la croix ou sur le bûcher dans l'assurance de l'amour de Dieu et sur le seul témoignage des Écritures. La foi et l'amour émotif ne peuvent ainsi former cette fameuse combinaison que l'Apocalypse appelle « l'or éprouvé par le feu » ( Ap 3.18; 1 Pierre 1.6-7 ) dans laquelle la foi et l'amour s'unissent. La foi dépend de l'amour; elle est une réponse à l'amour divin agapè et cherchera à se conformer en tous points à la volonté de Celui qu'elle aime. L'amour émotif conduit au contraire à de graves erreurs de jugement et ruine des vies entières; c'est l'éros qui attire les jeunes gens dans des rapports illicites, et non l'amour.

Abordons brièvement un autre aspect connexe, l'opposé même de l'émotivité, et tout aussi dangereux pour l'enfant. Il s'agit de l'excès de sévérité; il se manifeste souvent sous le prétexte de l'amour, tel une mauvaise compréhension du texte : « Moi, je reprends et je châtie tous ceux que j'aime » ( Ap 3.19 ). Il ne crée cependant pas l'amour mais le ressentiment chez l'enfant. Châtier devrait être une mesure exceptionnelle et rare, après avoir sincèrement imploré l'aide divine à genoux pour notre enfant et avec lui. Il pourra ainsi comprendre la raison de la correction et la gravité de sa faute.
« Il peut être nécessaire de frapper lorsque tous les autres recours ont échoué; cependant elle [la mère] ne devrait pas utiliser la verge s'il est possible de l'éviter. Mais si des mesures plus douces prouvent être insuffisantes, la punition qui ramènera l'enfant à ses sens devrait être administrée dans l'amour. Fréquemment, une seule correction de ce genre suffira pour toute leur vie, afin de démontrer à l'enfant que ce n'est pas à lui de diriger les choses. » (Child Guidance, p. 250).
Dans son périple au travers du désert, Israël manqua d'eau et le peuple se souleva contre Moïse et Aaron. « Vous parlerez en leur présence au rocher, et il donnera ses eaux, » lui dit alors l'Éternel ( Nombres 20.8 ). Mais, dans sa colère, Moïse frappa le rocher à deux reprises et brisa le merveilleux symbolisme du Christ, frappé une seule fois pour les péchés du monde. Par ce seul péché, il perdit le privilège de voir la terre promise. Lorsque nous frappons un enfant deux fois, cela constitue aussi un signe de colère et de péché, et nous devrions en peser la gravité devant l'exemple du patriarche qui posa le même geste d'impatience; nous posons souvent un geste plus grave que l'offense qui l'a causé; si, cependant, nous le frappons une fois, nous lui démontrons en fait que s'il poursuit cette voie, il devra finalement porter la peine de son péché. Mais en parlant au lieu de frapper, nous faisons mieux, car nous lui enseignons cette vérité que Jésus, le Rocher d'Israël, a été frappé et est mort par amour pour lui, et qu'Il est disposé à lui pardonner; il n'a plus à craindre d'être frappé ni de périr sous la colère divine, car Jésus l'a subie à sa place, Il a été son Substitut. Il a payé le prix, Il a porté la peine de son péché : l'enfant sera conduit à la repentance. En comprenant maintenant l'aspect symbolique de nos actes, il devient plus difficile de donner libre cours à notre émotivité, dans un sens ou dans l'autre.
« Vous découvrirez à maintes reprises que, si vous raisonnez avec eux gentiment, il ne sera pas nécessaire de les frapper. Une telle méthode les conduira à avoir confiance en vous. Ils feront de vous leur confident(e) [et leur ami(e)]. » (Child Guidance, p. 250).