Nous aimerions ici faire le lien entre le thème omniprésent de
la justice et l'amour inconditionnel. Cela est rendu nécessaire
par le fait que la justice et l'amour de Dieu ne font
qu'un dans le grand plan de la rédemption. En effet, la justice et
l'amour se sont rencontrés et fondus, unis à la croix (
Psaumes 85.11
). Mais si la justice et l'amour constituent tous deux des
attributs de Dieu, l'un devrait-il avoir préséance sur l'autre?
Comment Jean considérait-il cet aspect, lui qui écrivait ces mots
mémorables « Dieu est Amour »?
Pour mieux saisir le lien qui unit ces deux grands thèmes et leur
point de rencontre, examinons d'abord les principales caractéristiques
de la justice. La justice qui procède de Dieu peut être décortiquée en quatre points :
- la loi, norme de toute justice, et toutes les règles qui en
découlent; c'est par amour pour Ses enfants que Dieu leur donna
des lois; l'univers répond aussi à des lois; mais seul l'être humain et
les anges déchus y ont dérogé; ils ont transgressé une loi d'amour,
une loi procédant d'un Dieu d'amour; avant la chute, les anges
furent surpris d'apprendre qu'il existait une loi, une loi éternelle, car
ils vivaient dans une atmosphère totale d'amour; la loi est venue, a été en
quelque sorte donnée en réponse au péché, comme une explication
de l'inexplicable; son rôle était et est encore de convaincre de péché
et de souligner son caractère grave (
Romains 7.7, 13
); remarquons en outre que si la loi a été donnée par amour, il est évident qu'elle
doit aussi être observée par amour et avec amour; sinon l'esprit de
la loi se trouve pour ainsi dire transgressé;
- l'équité, signifiant que Dieu ne fait point acception de personnes (
Romains 2.11
), n'exerce aucun favoritisme, et est juste
envers tous. Il considère tous les hommes comme égaux. L'équité
a saveur d'amour inconditionnel : « Car il fait lever son soleil sur les
méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et les
injustes » (
Matthieu 5.45 );
- la justification : la justice imputée à l'homme, mise au
compte du pécheur ainsi pardonné; la justification ne s'obtient pas
par la justice de la loi, mais par le don gratuit de la grâce, par pur
amour divin, sans aucun mérite de sa part; cette justification, lui
permettant de vivre dans l'amour et expérimentée jour après jour,
prend alors le nom de sanctification, qui représente la justice
communiquée à l'homme;
- le jugement est le bras de la justice, il absout ou condamne;
il s'applique de bon droit à tout ce qui n'est pas amour
véritable et condamne tout ce qui néglige, repousse ou s'oppose à
l'amour-agapè; l'amour véritable devient finalement juge, une
« oeuvre étrange » qu'il préférerait ne pas faire et qu'il est réticent à
faire; c'est pourquoi Il retarde l'accomplissement du jugement et « Il
use de patience envers vous, ne voulant pas qu'aucun périsse, mais
voulant que tous arrivent à la repentance » (
2 Pierre 3.9
). Mais cette « oeuvre » doit s'exécuter pour condamner l'égoïsme et toute forme
apparente d'amour et pour rétablir la suprématie de l'agapè.
Retenons de ces quatre points la force avec laquelle l'amour s'impose
par rapport à la justice.
Dans la même veine, on raconte l'histoire d'un professeur de
secondaire, tout dévoué à ses élèves et désireux de leur venir en
aide dans toutes leurs tâches. Ce professeur avait déjà, au début de
l'année, décrit les examens et les devoirs que devaient faire ses
étudiants; de ceux-ci, quatre travaux, consistant en projets de
recherche, étaient répartis sur l'année scolaire et s'avéraient
particulièrement importants pour le résultat final de l'élève.
Quelques semaines avant la date de remise, le maître rappela
fidèlement aux jeunes le court laps de temps qui leur restait pour
remettre leurs travaux. Or, on en était maintenant au dernier, dont
l'échéance tombait juste avant la fin des classes, le 19 juin.
Arriva la journée fatidique et les élèves, fatigués mais tout joyeux, présentèrent
leur travail au professeur. C'était le dernier cours. Tous ceux
qui faisaient partie de sa classe étaient là et lui remirent leurs devoirs
en sautillant et en s'entretenant des vacances prochaines, tous...
sauf un.
Le professeur, un homme d'âge mûr, au regard aiguisé, remarqua
immédiatement Ti-Louis derrière, une larme furtive glissant sur sa
joue. Ti-Louis avait oublié, probablement perturbé par le trouble
survenu chez lui quelques semaines auparavant lors du décès de sa
grand-mère; peut-être s'était-il absenté le jour même où le professeur
avait rappelé l'échéance ou peut-être encore avait-il été
somnolent? Peu importe, le professeur avait compris. Ti-Louis
n'était pas le plus fort en classe et, selon le mode d'évaluation, il ne
pouvait se permettre un résultat nul dans ce dernier devoir. Il le
savait bien et le professeur le savait également. Il était certain
d'avoir échoué. Le professeur, malgré sa grande sympathie pour
ses élèves, ne pouvait passer outre les règles, car sa crédibilité en
aurait été sérieusement affectée dans les années à venir. Ti-Louis
était effondré intérieurement quand ce maître plein de compassion,
ne voulant qu'aucun de ses élèves n'échoue mais que tous arrivent
à passer, lui demanda alors s'il pouvait quand même faire le devoir
dans les quatre jours qui restaient avant la fin officielle des classes,
prévue pour le 23 juin. Louis sentit d'un coup l'énergie lui revenir
et s'écria : « Bien sûr! » et il partit avec l'assurance d'un conquérant.
Comme prévu, Louis travailla avec acharnement, poussé non pas
tant par la peur d'échouer ou le désir d'obtenir une bonne note,
comme par un sentiment immense de gratitude pour ce maître si
bon envers lui. Il se présenta donc fièrement avec son travail au
dernier jour. C'était vraiment son plus beau travail de toute l'année,
en fait sûrement le plus beau projet qu'il ait jamais réalisé, et le
professeur apprécia ce qu'il avait fait : il lui fit savoir qu'il avait
réussi.
Dans sa joie, Louis communiqua la bonne nouvelle à tous ses
copains. Cependant, l'un d'eux, probablement frustré devant ce qui
lui semblait une injustice, vint se plaindre au professeur : « Pourquoi
lui avez-vous permis de remettre son travail en retard, alors que
nous avons travaillé d'arrache-pied, à la sueur de notre front et
jusqu'à la dernière minute pour le présenter à temps. » Le maître,
peiné, lui fit cette réponse : « Mon garçon, ai-je été injuste envers toi,
ne t'ai-je pas remis ta note; pourquoi t'offenses-tu de ce que j'ai fait
preuve de bonté envers Ti-Louis? Ne vois-tu pas que je ne voulais
qu'aucun n'échoue et que je pouvais lui accorder encore un peu de
temps? » Et ainsi fut démontré le lien formé dans l'esprit de ce
maître exemplaire entre les notions d'amour et de justice. L'agapè
avait réussi l'examen, Son agapè.
Dans tout ceci, la justice n'est jamais un mobile, mais plutôt la
norme, la conséquence et l'effet de l'amour. C'est la raison pour
laquelle l'amour a préséance. On dira donc avec l'apôtre Jean :
« Dieu est Amour. » Il accomplit et respecte toute justice (
Romains 13.10
). La justice peut s'accomplir avec amour, mais elle
n'accomplit pas l'amour; l'Écriture nous apprend plutôt que l'amour
accomplit toute justice. La justice devient donc une composante de
l'amour, elle lui est subordonnée. Soulignons cependant que la
justice ne peut pas exister en Dieu sans l'amour, et l'amour ne peut
pas non plus exister indépendamment de la justice. « La justice est
le fondement de son trône et le fruit de son amour. »
(Jésus-Christ, p. 767; Desire of Ages, p. 762).
Maintenant toutes ces choses sont en Christ et nous viennent, non
comme des qualités séparées de Sa personne, mais comme le
parfum de Sa présence, répandu en nous par le Saint-Esprit. En
enseignant que « Dieu est Amour (agapè) », Jean a voulu aller plus
loin et faire resplendir encore davantage la gloire, le caractère de
Dieu. De notre côté, en comprenant que « Dieu est Amour », nous
sommes libérés du portrait trompeur d'un juge sévère, inflexible et
implacable que nous trace l'ennemi. Nous pouvons ensuite refléter
Son amour et comme le professeur de Ti-Louis éduquer avec
amour, dans le respect de la justice.