Le véritable amour dans l'éducation

8. Amour vs justice

Nous aimerions ici faire le lien entre le thème omniprésent de la justice et l'amour inconditionnel. Cela est rendu nécessaire par le fait que la justice et l'amour de Dieu ne font qu'un dans le grand plan de la rédemption. En effet, la justice et l'amour se sont rencontrés et fondus, unis à la croix ( Psaumes 85.11 ). Mais si la justice et l'amour constituent tous deux des attributs de Dieu, l'un devrait-il avoir préséance sur l'autre? Comment Jean considérait-il cet aspect, lui qui écrivait ces mots mémorables « Dieu est Amour »?

Pour mieux saisir le lien qui unit ces deux grands thèmes et leur point de rencontre, examinons d'abord les principales caractéristiques de la justice. La justice qui procède de Dieu peut être décortiquée en quatre points :
  1. la loi, norme de toute justice, et toutes les règles qui en découlent; c'est par amour pour Ses enfants que Dieu leur donna des lois; l'univers répond aussi à des lois; mais seul l'être humain et les anges déchus y ont dérogé; ils ont transgressé une loi d'amour, une loi procédant d'un Dieu d'amour; avant la chute, les anges furent surpris d'apprendre qu'il existait une loi, une loi éternelle, car ils vivaient dans une atmosphère totale d'amour; la loi est venue, a été en quelque sorte donnée en réponse au péché, comme une explication de l'inexplicable; son rôle était et est encore de convaincre de péché et de souligner son caractère grave ( Romains 7.7, 13 ); remarquons en outre que si la loi a été donnée par amour, il est évident qu'elle doit aussi être observée par amour et avec amour; sinon l'esprit de la loi se trouve pour ainsi dire transgressé;

  2. l'équité, signifiant que Dieu ne fait point acception de personnes ( Romains 2.11 ), n'exerce aucun favoritisme, et est juste envers tous. Il considère tous les hommes comme égaux. L'équité a saveur d'amour inconditionnel : « Car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et les injustes » ( Matthieu 5.45 );

  3. la justification : la justice imputée à l'homme, mise au compte du pécheur ainsi pardonné; la justification ne s'obtient pas par la justice de la loi, mais par le don gratuit de la grâce, par pur amour divin, sans aucun mérite de sa part; cette justification, lui permettant de vivre dans l'amour et expérimentée jour après jour, prend alors le nom de sanctification, qui représente la justice communiquée à l'homme;

  4. le jugement est le bras de la justice, il absout ou condamne; il s'applique de bon droit à tout ce qui n'est pas amour véritable et condamne tout ce qui néglige, repousse ou s'oppose à l'amour-agapè; l'amour véritable devient finalement juge, une « oeuvre étrange » qu'il préférerait ne pas faire et qu'il est réticent à faire; c'est pourquoi Il retarde l'accomplissement du jugement et « Il use de patience envers vous, ne voulant pas qu'aucun périsse, mais voulant que tous arrivent à la repentance » ( 2 Pierre 3.9 ). Mais cette « oeuvre » doit s'exécuter pour condamner l'égoïsme et toute forme apparente d'amour et pour rétablir la suprématie de l'agapè.

Retenons de ces quatre points la force avec laquelle l'amour s'impose par rapport à la justice.

Dans la même veine, on raconte l'histoire d'un professeur de secondaire, tout dévoué à ses élèves et désireux de leur venir en aide dans toutes leurs tâches. Ce professeur avait déjà, au début de l'année, décrit les examens et les devoirs que devaient faire ses étudiants; de ceux-ci, quatre travaux, consistant en projets de recherche, étaient répartis sur l'année scolaire et s'avéraient particulièrement importants pour le résultat final de l'élève. Quelques semaines avant la date de remise, le maître rappela fidèlement aux jeunes le court laps de temps qui leur restait pour remettre leurs travaux. Or, on en était maintenant au dernier, dont l'échéance tombait juste avant la fin des classes, le 19 juin. Arriva la journée fatidique et les élèves, fatigués mais tout joyeux, présentèrent leur travail au professeur. C'était le dernier cours. Tous ceux qui faisaient partie de sa classe étaient là et lui remirent leurs devoirs en sautillant et en s'entretenant des vacances prochaines, tous... sauf un.

Le professeur, un homme d'âge mûr, au regard aiguisé, remarqua immédiatement Ti-Louis derrière, une larme furtive glissant sur sa joue. Ti-Louis avait oublié, probablement perturbé par le trouble survenu chez lui quelques semaines auparavant lors du décès de sa grand-mère; peut-être s'était-il absenté le jour même où le professeur avait rappelé l'échéance ou peut-être encore avait-il été somnolent? Peu importe, le professeur avait compris. Ti-Louis n'était pas le plus fort en classe et, selon le mode d'évaluation, il ne pouvait se permettre un résultat nul dans ce dernier devoir. Il le savait bien et le professeur le savait également. Il était certain d'avoir échoué. Le professeur, malgré sa grande sympathie pour ses élèves, ne pouvait passer outre les règles, car sa crédibilité en aurait été sérieusement affectée dans les années à venir. Ti-Louis était effondré intérieurement quand ce maître plein de compassion, ne voulant qu'aucun de ses élèves n'échoue mais que tous arrivent à passer, lui demanda alors s'il pouvait quand même faire le devoir dans les quatre jours qui restaient avant la fin officielle des classes, prévue pour le 23 juin. Louis sentit d'un coup l'énergie lui revenir et s'écria : « Bien sûr! » et il partit avec l'assurance d'un conquérant.

Comme prévu, Louis travailla avec acharnement, poussé non pas tant par la peur d'échouer ou le désir d'obtenir une bonne note, comme par un sentiment immense de gratitude pour ce maître si bon envers lui. Il se présenta donc fièrement avec son travail au dernier jour. C'était vraiment son plus beau travail de toute l'année, en fait sûrement le plus beau projet qu'il ait jamais réalisé, et le professeur apprécia ce qu'il avait fait : il lui fit savoir qu'il avait réussi.

Dans sa joie, Louis communiqua la bonne nouvelle à tous ses copains. Cependant, l'un d'eux, probablement frustré devant ce qui lui semblait une injustice, vint se plaindre au professeur : « Pourquoi lui avez-vous permis de remettre son travail en retard, alors que nous avons travaillé d'arrache-pied, à la sueur de notre front et jusqu'à la dernière minute pour le présenter à temps. » Le maître, peiné, lui fit cette réponse : « Mon garçon, ai-je été injuste envers toi, ne t'ai-je pas remis ta note; pourquoi t'offenses-tu de ce que j'ai fait preuve de bonté envers Ti-Louis? Ne vois-tu pas que je ne voulais qu'aucun n'échoue et que je pouvais lui accorder encore un peu de temps? » Et ainsi fut démontré le lien formé dans l'esprit de ce maître exemplaire entre les notions d'amour et de justice. L'agapè avait réussi l'examen, Son agapè.

Dans tout ceci, la justice n'est jamais un mobile, mais plutôt la norme, la conséquence et l'effet de l'amour. C'est la raison pour laquelle l'amour a préséance. On dira donc avec l'apôtre Jean : « Dieu est Amour. » Il accomplit et respecte toute justice ( Romains 13.10 ). La justice peut s'accomplir avec amour, mais elle n'accomplit pas l'amour; l'Écriture nous apprend plutôt que l'amour accomplit toute justice. La justice devient donc une composante de l'amour, elle lui est subordonnée. Soulignons cependant que la justice ne peut pas exister en Dieu sans l'amour, et l'amour ne peut pas non plus exister indépendamment de la justice. « La justice est le fondement de son trône et le fruit de son amour. » (Jésus-Christ, p. 767; Desire of Ages, p. 762).

Maintenant toutes ces choses sont en Christ et nous viennent, non comme des qualités séparées de Sa personne, mais comme le parfum de Sa présence, répandu en nous par le Saint-Esprit. En enseignant que « Dieu est Amour (agapè) », Jean a voulu aller plus loin et faire resplendir encore davantage la gloire, le caractère de Dieu. De notre côté, en comprenant que « Dieu est Amour », nous sommes libérés du portrait trompeur d'un juge sévère, inflexible et implacable que nous trace l'ennemi. Nous pouvons ensuite refléter Son amour et comme le professeur de Ti-Louis éduquer avec amour, dans le respect de la justice.