Par Sa Providence Dieu agit à la fois dans la nature et l'histoire.
Cette vision de la Providence était une présupposition de base des
auteurs de la Bible et fut tacitement assumée par les penseurs
chrétiens au Moyen âge et par la suite. Cependant ce n'est pas avant
la fin du dix-septième siècle qu'elle trouve son expression classique
dans le livre « Discours sur l'histoire universelle » de l'évêque
français Jean-Baptiste Bossuet.
Cependant l'encre avait à peine séché sur le manuscrit de Bossuet que
sa vision était mise en doute par Voltaire dans son « Essai sur les
moeurs ». Reflétant le caractère du siècle des lumières, Voltaire
opposa la raison à la révélation et le progrès naturel à la
Providence. Avec une plume de vitriol, il décrivit Bossuet comme un
obscurantiste dont la connaissance de l'histoire était piteusement
inadéquate et dont la foi religieuse l'aveuglait, l'empêchant
d'expliquer les faits de façon naturaliste. Pour beaucoup, l'attaque
de Voltaire contre la vision providentielle de l'histoire demeura le
dernier mot sur le sujet. Nombreux étaient ceux qui partageaient son
point de vue, en dépit du fait que la physique classique des
dix-huitième et dix-neuvième siècles autour desquels ses arguments
tournaient avait été largement remplacée par les concepts de la
physique quantique et ses différentes implications.
La foi en l'activité providentielle de Dieu fait partie du tissu
interne et externe de la Bible. L'auteur des Hébreux rend cette foi
explicite en déclarant : « Il (Christ) est le reflet de sa gloire et
l'empreinte de sa personne, et soutient toutes choses par sa parole
puissante » (
1.3
). La même parole dynamique qui, du néant, a appelé
l'univers physique à l'existence le soutient dans une cohésion
harmonieuse. En aucun temps l'Écriture ne dépeint l'univers comme une
machine autonome opérant dans une perpétuelle indépendance de son
Créateur.
Il opère assurément avec une régularité prévisible. Les scientifiques
ont graduellement découvert l'opération de telles régularités dans des
domaines toujours plus vastes et ont exprimé leur compréhension de ces
choses dans ce qu'ils ont appelé les lois de la nature.
Mais l'existence des lois de la nature n'exclut pas le besoin qu'une
Providence les soutienne, pas plus que les lois civiles du pays
n'excluent le besoin d'officiers pour les soutenir. Les lois n'opèrent
jamais seules. Elles ne sont jamais la cause des phénomènes. Elles ne
sont que la manière humaine de décrire un comportement régulier dans
la nature. Au fur et à mesure que l'homme progresse dans sa
compréhension de l'univers physique, il exprime les régularités qu'il
observe dans des termes toujours plus précis. La science est la
tentative systématique de l'homme de découvrir et formuler ces lois,
et de détecter les principes généraux qui les régissent.
Les scientifiques travaillent selon l'hypothèse que la nature est
fondamentalement simple et qu'il devrait être possible d'en arriver à
quelque équation fondamentale dont on pourrait tirer toutes les lois
d'une manière mathématique. La recherche d'Einstein pour une équation
unifiée qui expliquerait tous les phénomènes optiques, électriques et
gravitationnels était une tentative en ce sens. Mais même si une telle
tentative devait réussir, le fait demeure que les lois ne font
qu'exprimer comment opère la nature mais jamais pourquoi. Les lois
décrivent des phénomènes et n'en sont jamais l'origine. Le besoin
d'une Cause première, d'un Créateur et Soutien de l'univers, reste le
même. Jésus a déclaré cette vérité en ces termes : « Mon Père agit
encore, moi aussi j'agis. » (
Jean 5.17 )
Il est faux de prétendre que puisque la science progresse dans sa
marche incessante à travers l'univers, Dieu doit obligatoirement
reculer. Certains assument que puisqu'il y a de plus en plus de
domaines qui sont inondés par la lumière de la connaissance
scientifique, il reste de moins en moins de place pour l'activité
divine. Cette erreur populaire présuppose que Dieu agit seulement dans
le domaine du mystère, de l'obscur et de l'inconnu. Si la loi et
l'ordre sont reconnus dans le domaine de l'astronomie, alors,
supposent certains, Dieu n'a rien à faire avec les étoiles et les
galaxies. Si les lois de la biologie sont découvertes, alors, selon le
même argument, Dieu n'est nullement impliqué dans les processus de la
vie.
Une telle fausseté peut être comprise comme étant une réaction contre
l'explication naïve des phénomènes naturels fréquemment employée avant
l'ère pré-scientifique. Quand on pensait que la terre était peuplée de
nymphes et de gnomes, l'homme était plus enclin à s'étonner devant
l'extra-ordinaire et le bizarre que devant l'uniformité et l'ordre.
Dans la pensée populaire, les éclipses et les tremblements de terre
étaient les manifestations les plus évidentes de la puissance divine.
Lorsque les éclipses ont finalement été expliquées et prédites, elles
ont cessé d'appartenir au royaume du mystère. Ceci signifiait pour
certains que puisque les phénomènes célestes se produisaient selon des
lois connues, ils le faisaient indépendamment de la volonté de Dieu.
En réalité, la reconnaissance du fait que la nature est ordonnée, que
son comportement peut être compris et exprimé sous forme mathématique,
a produit différentes réactions chez différentes personnes. Face au
progrès rapide de l'astronomie par suite à la découverte de Copernic
(d'un système planétaire héliocentrique dont la terre n'était qu'une
composante mineure), les réactions de penseurs tout aussi capables
contrastaient grandement. Pour certains, la découverte de la loi
décrivant les mouvements des corps célestes et la possibilité de les
prédire, les a conduit à une admiration plus profonde de l'oeuvre de
Dieu.
L'une de ces personnes fut l'astronome allemand Johannes Kepler qui,
sur la base des observations astronomiques recueillies par Tycho
Brahe, a découvert les trois lois du mouvement des planètes. Kepler a
décrit sa célèbre recherche comme l'acte de « penser les pensées de
Dieu après Lui ». L'existence même des lois naturelles pouvant être
découvertes par l'intelligence humaine fut pour lui une preuve
concluante que seul un esprit divin pouvait avoir conçu que les cieux
étoilés tournent avec une précision aussi exacte. Pour Kepler,
l'absence de lois démontrerait l'absence d'un Planificateur.
Une autre personne du genre fut le mathématicien anglais Sir Isaac
Newton qui faisait partie des meilleurs physiciens de son temps. Avec
sa candeur caractéristique, Newton reconnut sa dette envers les
générations précédentes de penseurs. Mais par-dessus tout, il ne
voyait aucun conflit entre sa manière de penser en tant que
scientifique et sa croyance en Dieu et en la Providence. En plus de
son oeuvre de pionnier dans le calcul intégral et différentiel, et
dans la découverte des lois de l'inertie, de la gravité, de la
réfraction et de la dispersion de la lumière, il trouva le temps de
s'appliquer à l'étude des Écritures et même d'écrire un commentaire
sur Daniel.
D'autre part, la découverte progressive de l'ordre de l'univers
physique a conduit plusieurs penseurs à la conclusion que Dieu était
un Seigneur absent qui avait créé l'univers et l'avait ensuite laissé
fonctionner selon des lois secondaires. C'est ainsi que sont apparus
les déistes du dix-septième siècle et leurs héritiers philosophiques.
En règle générale, ils ne niaient pas l'existence de Dieu, mais ils
niaient à divers degrés l'implication de Dieu dans l'ordre régulier de
la nature. C'est-à-dire qu'ils niaient la Providence, la préoccupation
personnelle de Dieu pour ce qui arrive dans l'univers. L'intervention
divine en réponse à la prière était considérée comme menant au miracle
et les miracles étaient tabous selon leur concept strictement
déterministe de la nature.
Le dilemme ainsi posé au croyant chrétien était évident. La Providence
implique la liberté qu'a Dieu d'agir à travers et au-dessus des lois
de Sa création. Mais dans un univers inexorablement gouverné par la
loi naturelle, chaque événement était conçu comme déterminé d'avance,
éliminant du coup une telle activité. Laplace, auteur de « La
Mécanique céleste », alla jusqu'à dire que si les masses et les
vélocités de toutes les particules composant l'univers étaient
connues, alors tous les événements futurs pourraient mathématiquement
être prévus. Selon ce point de vue, tout le futur est déjà contenu et
absolument déterminé dans et par le passé. Milic Capek le décrit de
manière concise : « Dans le plan déterministe classique, la nouveauté
et le devenir étaient virtuellement éliminés. Le futur était considéré
comme implicitement contenu dans le présent. » (The Philosophical
Aspect of Contemporary Physics, p. 395) Dans un tel climat
intellectuel, la foi religieuse devait forcément souffrir.
En dépit des arguments philosophiques, ceux qui croyaient à la
Providence ne pouvaient pas délaisser ce concept chrétien fondamental.
Avec ou sans l'appui du point de vue scientifique qui prévalait, ces
croyants chrétiens savaient dans leur for intérieur que Dieu écoutait
leurs prières. Dans les replis secrets de leur conscience, Dieu les
confrontait. Dans ce domaine, au-delà de tout examen de la science,
ils connaissaient leur propre liberté et leur responsabilité. Dans le
sanctuaire de leur âme, ils savaient ce que signifiait adorer Dieu «
en esprit et en vérité » et ils saisirent là un aperçu de ce que Paul
voulait dire lorsqu'il a déclaré : « Or, le Seigneur c'est l'Esprit;
et là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté. » (
Jean 4.23;
2 Corinthiens 3.17 )
Historiquement le chrétien ne renonce pas à sa foi parce que la
métaphysique de son temps lui est défavorable. Sachant combien de fois
le climat philosophique dominant a pu changer selon le vent
intellectuel qui soufflait, ses perceptions vont plus loin dans la
vérité que celles qui viennent d'une raison non éclairée. Il peut se
permettre d'attendre patiemment l'ultime justification. « Celui qui
croit ne se hâtera pas. » (
Ésaïe 28.16 )
La manière dont cette justification peut prendre forme est illustrée
dans le livre de William G. Pollard, Chance and Providence. Ce livre
publié en 1958 traite, comme son titre l'indique, de « l'action divine
dans un monde gouverné par les lois de la science ». Son auteur était
un savant de renom, directeur du « Oak Ridge Institute of Nuclear
Studies ». Pollard montre comment le progrès de la physique théorique
des dernières décennies a réduit en cendres le concept d'un
déterminisme rigide. Les découvertes en physique atomique ont remplacé
les lois exprimant une stricte causalité dans la nature par des lois
liées aux probabilités.
Pollard dit : « Dans le domaine de la science la situation typique en
est une dans laquelle plusieurs alternatives se présentent dans chaque
processus naturel. » (Chance and Providence, p. 67) Ceci veut dire
qu'il y a plusieurs manières dont un atome, par exemple, peut répondre
lorsque bombardé par une autre particule atomique. Les lois
exprimeront des degrés de probabilité favorisant une alternative parmi
d'autres. La fixité de la relation de cause à effet se voit ainsi
expulsée du domaine des phénomènes atomiques. De même que les tables
statistiques des compagnies d'assurances prédisent avec précision
combien de gens d'un certain groupe d'âge mourront dans une année
donnée, mais ne peuvent rien affirmer concernant la mort d'un
individu, ainsi les lois naturelles prédisent le comportement d'un
grand nombre d'atomes sous des conditions expérimentales définies mais
ne peuvent rien affirmer concernant l'atome individuel.
La pensée subsiste dans certains esprits que si on lui donnait plus de
temps, la science pourrait expliquer cet élément d'incertitude qui
vient déranger le beau plan de la physique depuis que Heisenberg a
énoncé le « principe de l'incertitude » en 1927. Mais comme Pollard le
démontre bien, la tendance de la recherche scientifique a été de
confirmer plutôt que de douter de ce concept d'indétermination à
l'échelle des phénomènes atomiques. L'indétermination n'est pas
introduite par l'homme dans le cours d'une expérience à cause d'un
appareillage défectueux, mais elle est objective dans le sens qu'elle
est enchâssée dans la nature. Elle est là, que l'homme l'observe ou
non. Toute l'évidence accumulée au cours des 40 dernières années
conduisent à la conclusion que le concept de l'indétermination n'est
pas une mode passagère chez les scientifiques mais qu'il est là pour
rester. « Que nous l'aimions ou non, dit le Dr Pollard, cela semble
être un monde dans lequel l'indétermination, l'alternative et la
chance sont des aspects réels de la nature fondamentale des choses et
non pas simplement la conséquence de notre compréhension inadéquate et
provisionnelle. » (p. 54-55)
N'est pas non plus valide l'objection que le principe de
l'indétermination opère seulement à l'échelle atomique et ne
s'applique pas aux phénomènes de grande échelle comme celui de la
pomme de Newton qui tombe. La seule différence est que
statistiquement, le comportement d'un grand nombre de molécules est
plus prévisible que celui d'un petit nombre. Dans des cas extrêmes,
les différentes alternatives d'un cas typique reviennent à une seule
possibilité. La situation ressemble à celle des compagnies
d'assurances qui jouent leur espoir de profit sur l'espérance de vie
d'un grand nombre d'individus qui peut être prédite avec une assez
bonne précision, alors que peu de choses peuvent être affirmées
concernant l'individu détenant la police, sauf s'il s'agit de
quelqu'un qui n'a pas une chance sur cent de vivre au-delà de 90 ans
ou une chance sur mille de devenir centenaire.
Puisque l'indétermination semble être inhérente à la nature
fondamentale des choses, l'ancien point de vue que le futur de
l'univers physique est absolument conditionné par le présent ne tient
plus. Si cela est vrai de la nature, cela devrait être encore plus
vrai de l'homme qui transcende la nature par le pouvoir de la pensée.
Le point de vue longtemps soutenu d'un strict déterminisme dans
l'histoire doit de même être remplacé par le concept du caractère
ouvert de l'histoire. À chaque tournant des événements, l'histoire est
confrontée à d'innombrables alternatives. Du point de vue séculier,
l'alternative qui sera choisie est purement question de chance. Mais
du point de vue de la foi, l'alternative prise peut être une question
de Providence.
La science ne peut plus poser d'objection valide à ce point de vue.
Tout ce qu'elle sait, c'est que plusieurs alternatives se présentent à
chaque tournant. Pourquoi celle-ci est choisie et non celle-là dépasse
pour ainsi dire la compétence de la science. Comme elle n'a rien
d'autre à dire, elle donne à l'incertitude qui entoure chaque tournant
des événements le nom de chance. Qu'on comprenne alors clairement que
la chance n'explique rien. La chance n'est pas un nouveau facteur
introduit dans le domaine scientifique par la porte arrière. Elle
exprime simplement que dans une conjoncture donnée, en dépit du fait
que plusieurs alternatives sont possibles, la science ne peut rien
dire.
Mais cette nouvelle réalisation du caractère ouvert de l'histoire est
exactement ce que le chrétien reconnaît comme une opportunité pour la
divine Providence. Sans vouloir amoindrir la liberté de l'homme et les
circonstances physiques qui l'accompagnent, Dieu peut diriger le cours
des événements selon les décisions inimaginables de Sa sainte volonté.
Comme l'exprimait le Dr Pollard : « Le chrétien voit les chances et
les accidents de l'histoire comme les dessus et les dessous du tissu
de la Providence que Dieu tisse constamment. » (Op. cit., p. 71)
L'incompatibilité d'un point de vue déterministe avec le point de vue
providentiel de l'histoire a été pressenti par de nombreux étudiants
de la Bible, même s'ils étaient incapables de l'articuler dans le
contexte des nouvelles découvertes de la physique quantique. B. J.
Lenergan, conscient du nouveau climat scientifique, écrit : « Le
processus mondial est ouvert. C'est la succession des réalisations
probables des possibilités. Il s'ensuit qu'il ne marche pas le long
des rails de fer posés par les déterministes ni, d'un autre côté, ne
se trouve être un ensemble inintelligible d'événements simplement
chanceux. » (Insight, p. 125-126) Il y a un agencement et une raison à
l'histoire, et pourtant le futur doit être considéré comme fluide et
ouvert à la fois à la liberté de choix de l'homme et à la direction de
Dieu.
Oscar Handlin dans « Chance or Destiny : Turning Points in American
History » (1955) élabore le point que la chance a joué un rôle
mystérieux dans l'histoire américaine. Dans son prologue, il fait
cette remarque provocante : « En réfléchissant au degré auquel
l'accident a renversé les plans d'hommes de sagesse, le Prince
Bismarck a un jour commenté qu'il y avait une Providence particulière
pour les ivrognes, les fous et les États-Unis. Et, en effet, du point
de vue de l'homme d'état expérimenté ou du soldat professionnel, il y
avait beaucoup à dire en faveur de l'argument que l'Amérique a survécu
et s'est développée grâce à une suite miraculeuse de chances qui, d'un
point tournant à l'autre, l'ont dirigé sur la route de la prospérité.
» L'historien non engagé peut seulement parler d'une « suite
miraculeuse de chances », là où le chrétien croyant peut reconnaître
la main de la Providence guidant les événements selon un mystérieux
dessein impossible à percer.
Oscar Handlin n'est pas non plus le seul à défendre l'idée que la
chance est inextricablement liée avec la toile de l'histoire.
Collingwood dans son édifiante philosophie de l'histoire fait
l'observation que pour Edward Meyer « le juste objectif de la pensée
historique est le fait historique dans son individualité et que la
chance et le libre arbitre sont des causes déterminantes qui ne
peuvent être bannies de l'histoire sans détruire son essence même. »
(The Idea of History, p. 178) Il est difficile pour quelqu'un d'être
d'accord avec E. Meyer quand il appelle la chance une « cause »
réelle. Mais pour le bénéfice de la discussion, il est significatif
que de prestigieux historiens admettent franchement que des événements
auraient pu tourner autrement et que si une alternative s'est réalisée
plutôt qu'une autre, c'était réellement une question de « chance
».
Les événements, particulièrement les événements qui touchent l'homme
ne peuvent plus être considérés comme de simples maillons d'une chaîne
de causes et d'effets. Les choses triviales, tel un changement de
direction du vent, la gêne d'un courtisan, le bris d'une pièce de
métal, ou la défection d'un soldat, pour utiliser les exemples cités
par O. Handlin, ont fait toute la différence dans le tournant d'une
bataille ou l'issue d'une guerre. La raison ne voit que la forme du
nez de Cléopâtre, les caprices de Napoléon ou l'arrivée fortuite de
phénomènes naturels comme « ingrédients déterminant les zigzags de
l'histoire ». Mais la foi discerne sous ces apparentes trivialités le
résultat invisible de l'objectif divin infiniment sage.
Sommes-nous justifiés de transférer les connaissances acquises dans la
physique atomique dans le domaine de l'histoire? À cette question
quelqu'un pourrait répondre : Y a-t-il quelque raison de croire que
les événements historiques sont plus strictement déterminés que les
événements naturels à l'échelle de l'atome? Poser la question, c'est y
répondre. Les événements historiques qui méritent d'être ainsi appelés
sont toujours le produit de la pensée. Pour comprendre un événement
historique, quelqu'un doit saisir de nouveau la pensée qui, comme le
disait Collingwood, est passée par l'esprit des acteurs. Derrière les
actions se trouvaient les pensées et les actions ne peuvent être plus
strictement déterminées que les pensées qui les ont initiées. Selon H.
Butterfield, l'historien de Cambridge, « La texture de l'histoire
est... aussi légère que la toile d'araignée, légère comme la pensée
d'une personne qui simplement la pense, et ses patrons semblent
changer aussi facilement que les patrons du vent sur l'eau. »
(Chsistianity and History, p. 110) L'ancien concept de l'histoire
prédéterminée et rigide doit être abandonné au profit d'une
compréhension plus valide de l'ouverture de l'histoire. À chaque
instant de son cours, l'histoire est confrontée à de multiples
alternatives. Nous pouvons très bien croire que celle qui sera choisie
dépend d'une Providence divine qui laisse cours à la liberté
humaine.
Le point de vue scientifique introduit par la physique quantique est
plus favorable à la croyance chrétienne en une Providence qui
supervise tout, que le point de vue offert par la physique classique.
Dans ce nouvel éclairage, il est possible à la fois pour les hommes et
pour Dieu d'influencer le cours des événements. Les chrétiens ont cru
à cela mais jusqu'à récemment, ils avaient de la difficulté à
démontrer Sa consistance dans le climat scientifique qui
prévalait.
Les historiens avaient tendance à être moins dogmatiques que les
scientifiques parce qu'ils traitaient de situations impliquant des
alternatives et une certaine latitude, alors que les scientifiques
traitaient des phénomènes plus précis du monde physique. La recherche
atomique, l'un des derniers venus sur la scène scientifique, a montré
que les phénomènes du monde physique peuvent aussi être sujets aux
alternatives et à une certaine latitude.
N. G. Pollard, qui présente aussi l'unique distinction d'être à la
fois un scientifique et un théologien, offre ce résumé lucide : «
L'énigme de l'histoire réside dans le fait que chaque événement est à
un moment donné et simultanément le résultat de l'opération des lois
naturelles universelles et l'objet de l'exercice de la volonté divine.
Alors que l'histoire se dévoile, le monde avance en accord avec les
exigences internes de sa structure et selon les lois universelles
auxquelles il est soumis. Cette structure est cependant constituée de
telle manière et les lois sous lesquelles elle opère sont forgées de
telle façon que la porte est ouverte à d'innombrables alternatives.
Parmi les chances et les accidents de ces alternatives, l'histoire
tisse son vêtement étonnant en répondant constamment à la volonté
puissante du Créateur et Soutien de l'histoire, et en exprimant dans
son récit l'oeuvre mystérieuse de Son dessein caché. » (Op. cit., p.
114)