En quoi l'agapé est-elle si différente de l'idée habituelle de
l'amour? Comment l'idée des apôtres pouvait-elle représenter une telle
menace pour le beau, le noble concept de Platon? Nous trouverons la
réponse dans les contrastes frappants qui distinguent les deux idées.
A. L'amour humain ordinaire dépend de la beauté ou de la bonté de la
personne qu'il aime.
Nous choisissons tout naturellement pour amis des gens qui font preuve
de gentillesse envers nous et qui nous font plaisir. Nous tombons
amoureux d'une personne du sexe opposé parce qu'elle est jolie, gaie,
intelligente et attirante. Toutefois, nous nous détournons rapidement
de ceux qui sont laids, mesquins, ignorants ou insultants.
En contraste, l'agapé n'est pas suscité par la beauté ou la bonté de
ce qu'elle considère. Elle est spontanée, n'est pas motivée par la
valeur de la personne aimée mais crée en elle cette valeur.
L'Antiquité nous a légué l'histoire qui suit afin de mieux illustrer
leur conception de l'amour suprême. Admédus était un beau jeune homme,
noble de caractère et pourvu des qualités personnelles les plus
élevées. Il fut frappé par une maladie que l'oracle des dieux décréta
fatale à moins qu'on ne trouvât une personne qui consentit à mourir à
sa place. Ses amis se rendirent alors visite, se demandant l'un à
l'autre : « Voudrais-tu mourir pour Admédus? » Tous étaient d'accord
pour reconnaître en lui un merveilleux jeune homme, mais ils
s'excusèrent l'un après l'autre en disant : « Désolé, mais je ne peux
pas mourir pour lui. » On s'enquit aussi auprès de ses parents, ce à
quoi ils répondirent : « Nous aimons beaucoup notre fils, mais
comprenez-nous, nous ne pouvons pas mourir pour lui! »
Finalement ses amis s'adressèrent à une jolie jeune fille du nom
d'Alcestis [céleste], qui aimait profondément Admédus [perdu et
souffrant]. « Oui, répondit-elle, je suis prête à donner ma vie pour
lui parce qu'il est un homme juste et bon, et que le monde a
grandement besoin de lui. »
Les philosophes s'écrièrent triomphalement : « Voilà enfin le
véritable amour : être prêt à se sacrifier pour un homme de bien! »
Imaginez leur surprise quand les apôtres arrivèrent en disant que ce
n'était pas cela du tout. « À peine mourrait-on pour un juste;
quelqu'un peut-être mourrait pour un homme de bien. Mais Dieu prouve
son amour [agapé] envers nous, en ce que, lorsque nous étions encore
des pécheurs, Christ est mort pour nous » (
Romains 5.7-10
). Un tel message ne peut que toucher votre coeur ou l'endurcir et
faire de vous un ennemi implacable!
B. L'amour humain naturel repose sur un sentiment de besoin. Celui qui
l'éprouve ressent une certaine pauvreté, un vide intérieur à combler
et il cherche ainsi une personne pour enrichir sa propre vie. Un mari
aimera son épouse parce qu'il a besoin d'elle et réciproquement. Deux
amis s'aimeront parce qu'ils ont besoin l'un de l'autre. Chacun se
sentira bien vide et seul sans son compagnon ou sa compagne.
Mais infiniment plus riche est l'agapé qui n'éprouve aucun besoin. Les
apôtres déclarent que ce n'est pas parce que Dieu a besoin de nous
qu'Il nous aime, mais parce que... bien, Il est agapé! « Car vous
connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, qui pour vous
s'est fait pauvre, de riche qu'il était, afin que par sa pauvreté vous
fussiez enrichis » (
2 Corinthiens 8.9
). Nous sommes aujourd'hui bouleversés à la pensée qu'il existe un
amour « qui ne cherche point son intérêt » (
1 Corinthiens 13.5
). Les Églises modernes elles-mêmes semblent irrésistiblement poussées
à présenter l'amour de Dieu comme la satisfaction d'un besoin
personnel, une motivation inspirée par un instinct d'acquisition
divin. Nous supposons [à tort] que Dieu a découvert en nous une
« valeur insoupçonnée » et qu'Il a tout simplement fait une bonne
affaire en nous rachetant.
Comme nous ressemblons à ce que nous adorons, ainsi une foule de gens
servent un tel Dieu parce qu'ils sont devenus comme lui et cherchent
la bonne affaire. Leur religion en est une d'acquisition, ils veulent
le ciel et ses récompenses ils sont animés d'un mobile égoïste. Quand
l'agapé s'infiltre dans ce milieu égocentrique, leur réaction
ressemble beaucoup à ce qui arriva au temps des apôtres.
C. L'amour humain repose sur le sens des valeurs.
Plusieurs Africains suivent encore l'ancien système de dot qui
régissait les mariages, reflet fidèle du système de mérites qui réside
à la base de toutes nos cultures. Le montant à payer pour une épouse
est proportionnel au montant investi par les parents dans son
éducation. Quelques vaches suffisent pour une jeune fille qui peut
tout juste gribouiller son nom; mais une dot faramineuse est exigée
pour celles qui ont fréquenté les grandes universités du monde.
De même, nous avons instinctivement tendance à faire des distinctions
entre les êtres humains. Peu de gens traitent l'éboueur avec autant de
courtoisie ou de respect qu'un maire ou un ministre. « Si [comme l'eau
qui cherche toujours l'horizontale] vous aimez ceux qui vous aiment
[qui sont à votre niveau], quelle récompense méritez-vous? Les
publicains aussi n'agissent-ils pas de même? Et si vous saluez
seulement vos frères, que faites-vous d'extraordinaire? Les païens
aussi n'agissent-ils pas de même? » demanda Jésus (Matthieu 5.46-47).
Oui, « les hommes te loueront de penser à ton [propre] bien-être » (
Psaumes 49.19 ).
L'agapé est, en contraste, différente et rafraîchissante. Plutôt que
de dépendre de la valeur de l'objet aimé, elle crée en lui une valeur
nouvelle.
Supposons que j'aie dans la main une pierre grossière que j'ai
ramassée dans un champ. Si je voulais la vendre, je ne pourrais même
pas en tirer la valeur d'un timbre. Ce n'est pas qu'elle soit mauvaise
comme telle, mais elle est si commune qu'elle n'a aucune valeur.
Supposons maintenant que je tienne cette pierre dans mes bras et que
je puisse l'aimer comme une mère aime son jeune enfant. Supposons
encore que mon amour puisse agir comme de l'alchimie et la transformer
en un lingot d'or pur. Ce serait la fortune!
Ceci illustre la façon dont l'agapé agit en nous. Nous n'avons d'autre
valeur marchande que celle incertaine des composants chimiques qui
forment notre corps. Par contre, l'amour de Dieu nous transforme et
nous donne une valeur équivalente à celle de Son propre Fils : « Je
rendrai les hommes plus précieux que l'or fin; je les rendrai plus
précieux que l'or d'Ophir. » (
Ésaïe 13.12 ).
Sans doute, avez-vous connu l'exemple d'une épave humaine qui fut
transformée en une personne de valeur inestimable. John Newton
(1725-1807) en fut un remarquable. Marin incroyant, impliqué à fond
dans le trafic d'esclaves africains, il devint un pauvre ivrogne et
fut un jour la victime de ceux qu'il avait contribué à réduire en
esclavage. Mais l'agapé finit par toucher son coeur. Il abandonna ce
commerce déshonorant et fut métamorphosé en digne messager de la bonne
nouvelle. Des milliers de gens se souviennent de lui à cause de
l'hymne qu'il a composé et qui révèle qu'il était lui aussi devenu
« de l'or fin » :
« Grâce infinie de notre Dieu
Qui, un jour, m'a sauvé!
J'étais perdu, errant de lieu en lieu,
Quand Il m'a retrouvé.
« Dans mes épreuves et mes labeurs,
Suffisante est Sa grâce;
Je peux toujours compter sur Sa faveur
À chaque heure qui passe. »
D. L'amour humain naturel va à la recherche de Dieu.
Toutes les religions païennes sont basées sur l'idée que Dieu est
aussi difficile à trouver qu'un remède pour le cancer. On croit
généralement que Dieu joue à cache-cache et qu'Il s'est retiré loin
des humains, totalement indifférent. Seuls certains privilégiés
auraient suffisamment d'intelligence et de sagesse pour réussir à Le
découvrir. Des millions de gens entreprennent de longs voyages vers La
Mecque, Rome, Jérusalem et autres lieux de pèlerinage, dans l'espoir
justement de Le découvrir. Les Grecs de l'Antiquité croyaient aussi
qu'ils devaient chercher Dieu, ce qui les amena à construire de
fabuleux temples de marbre qui nous étonnent encore, mais qui sont
devenus des ruines.
De nouveau, l'agapé démontre une nature tout à fait contraire. Ce ne
sont pas en effet les humains qui cherchent Dieu, mais c'est Dieu qui
cherche l'homme : « Car le Fils de l'homme est venu chercher et sauver
ce qui était perdu » (
Luc 19.10
). Le bon Berger laissa ainsi ses 99 brebis derrière Lui, en sécurité
dans leur bercail, et Il risqua sa propre vie pour partir à la
recherche de celle qui était perdue; la femme alluma un chandelier et
fouilla sa maison de fond en comble, jusqu'à ce qu'elle eût trouvé la
pièce de monnaie qu'elle avait perdue; de même l'Esprit de Dieu se mit
à la recherche de l'enfant prodigue, pour toucher son coeur et le
ramener à la maison. Mais il n'existe cependant aucune histoire dans
toute la Bible qui parle d'une brebis perdue qui doive chercher son
berger!
L'apôtre Paul était obsédé par ce grand principe : « Voici comment
s'exprime la justice qui vient de la foi : Ne dis pas en ton coeur :
'Qui montera au ciel et en fera descendre Christ?' Ou : 'Qui descendra
dans l'abîme et fera remonter Christ d'entre les morts?' Que dit-elle
donc? La parole est près de toi, dans ta bouche et dans ton coeur. Or,
c'est la parole de la foi, que nous prêchons. » (
Romains 10.6-8 ).
Cette « parole de foi » est aussi étroitement reliée à l'agapé que la
cire l'est au sceau qui l'imprime. L'agapé produit l'empreinte de la
foi sur le coeur, et la foi devient la réponse du coeur humain contrit
à cette révélation fantastique qu'est l'agapé; ce que Paul voulait
surtout souligner, c'est que « la parole est près de toi. » Et cette
parole (que vous lisez maintenant) constitue l'évidence que Dieu vous
a déjà cherchés et trouvés là où vous étiez cachés. Car le Bon Berger
est constamment à notre recherche.
E. Notre amour humain cherche toujours à s'élever.
Tout élève de première année veut monter en deuxième; l'enfant de onze
ans dit qu'il en aura bientôt douze. Tous ceux qui cherchent un autre
emploi visent à améliorer leurs conditions de travail. Celui qui fait
de la politique municipale ou provinciale aimerait bien passer sur la
scène nationale; et il est probable que tout ministre rêve au fond de
s'asseoir un jour dans le siège de Premier ministre.
Mais qui a jamais entendu dire qu'un ancien Premier ministre ait
démissionné pour accepter de servir comme maire d'un village? Platon
n'aurait jamais pu imaginer un tel amour. Nous non plus d'ailleurs!
C'est cette vision qui ramena le monde d'antan à la réalité : qu'un
Être plus élevé qu'un président accepte de s'humilier de plus en plus,
jusqu'à se soumettre à la torture et à la mort comme un vulgaire
criminel! Dans ce qui constitue probablement un aperçu du message
préféré de Paul, suivons maintenant dans
Philippiens 2.5-8
les sept étapes de l'humiliation de Christ, l'évidence de Son amour
agapé.